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vendredi 8 août 2014

La liste de mes envies de Grégoire Delacourt


L’histoire : "La liste de mes envies" est avant tout l'histoire d'une vie, en l'occurence celle de Jocelyne Guerbette (dite Jo), 47 ans et mercière à Arras.
Jocelyne est une passionnée de mode, mais n’a pas vraiment la taille mannequin.  Elle rêvait d’être styliste à Paris, elle se retrouve mercière à Arras.
Jocelyne est une femme plutôt timide et réservée, presque insipide. C’est aussi une femme soumise à son mari dont elle est éperdument amoureuse. Jocelyne rêvait d’un mari aussi beau qu’une star de cinéma, mais elle est mariée à Jocelyn (dit Jo.. oui, lui aussi..), ouvrier dans une usine et qui n’est pas pour ainsi dire un mari attentionné.
Lorsqu’il rentre chez lui le soir, Jocelyn déguste sa bière sans alcool, se pose sur le canapé et reste avachi devant la télé la bouche ouverte en demandant à sa femme : « qu’est-ce qu’on mange ce soir ? » (ça donne envie, hein ?).
Pas de quoi se rattraper non plus avec les enfants. Romain, le fils, c’est un peu l’idiot de service dont on ne peut pas dire qu’il soit gorgé d’ambition (pfff j’men fous.. de toutes façons, j’arrête mes études pour être serveur à la crêperie bretonne du coin..). Et Nadine, sa fille, ne parle jamais.
Jocelyne et Jocelyn ont aussi perdu un bébé qui est devenu un petit ange à la naissance. Cette perte a marqué à tout jamais leur couple et a notamment conduit Jocelyn à tenir des propos d’une violence extrême à Jocelyne, qui a tout encaissé sans rien dire, par amour pour son mari et ses enfants.
« C’est ton gros corps qui a étouffé Nadège. A chaque fois que tu t’asseyais, tu l’étranglais. Mon bébé est mort parce que t’as pas pris soin de toi. Ton corps c’est une poubelle, ma pauvre Jo, une grosse poubelle dégueulasse. Une truie. T’es une truie. Une putain de truie ».
Jocelyne est une provinciale de classe moyenne qui vit dans un petit pavillon sans prétention. Elle sort diner de temps en temps avec ses copines, les jumelles un peu fofolles, mais c’est bien là la seule extravagance qu’elle s’octroie. C’est un peu Madame-tout-le-monde, en quelque sorte.
A la seule exception près qu’un beau jour, Madame-tout-le-monde va gagner la coquette somme de 18.547.301 euros (et 28 centimes) à l’Euromillions.
Cette somme pourrait changer le cours de sa vie de manière irréversible : mais a-t-elle vraiment tout à y gagner ou au contraire tout à y perdre ?

Ce que j’en pense : j’ai découvert ce livre par hasard en surfant sur la blogosphère. Il faut avouer que la plupart des auteurs de blogs l’ayant lu lui ont fait moult et moult éloges.  Et puis, l’histoire avait particulièrement retenu mon attention : j’avais vraiment envie d’en savoir plus sur cette petite mercière qui gagne la grosse cagnotte de l’Euromillions.
Mais surtout, je voulais savoir si, pour l’auteur, l’argent faisait le bonheur..
Ce n’est pas vraiment l’avis de Jocelyne, le personnage principal. En effet, au lieu d’encaisser immédiatement son chèque, se faire faire un ravalement facial, dévaliser les boutiques de luxe et plaquer son beauf de mari pour s’enfuir à Puerto Rico avec un gigolo, Jocelyne a préféré attendre. Attendre de savoir si le fait d’encaisser ce chèque allait tout lui apporter ou au contraire tout lui faire perdre, c'est à dire lui faire perdre tout ce qui la raccroche à son existence.
En attendant de le savoir, elle fait d’abord la liste de ses besoins :
Une lampe pour la table d’entréeUn portemanteau perroquet (style bistrot) Une sorte de plat pour ranger les clés et le courrier (chez Cash Express ?) Deux poêles Tefal (…)

Puis, la liste de ses envies :
Partir en vacances seule avec Jo (pas au camping du Sourire. Toscane ?)Demander à ce qu’on change papa de chambreEmmener Romain et Nadine sur la tombe de maman (Leur parler d’elle. De ses cramiques, miam)Couper mes cheveux (…)

Et enfin la liste de ses folies : 
Arrêter la mercerie et reprendre des études de stylismeUne Porsche Cayenne(...) Un appartement à Londres pour NadineMe faire faire un 90C, j'ai maigri (NONO-NON. T'es folle ou quoi !!? Justement c'est la liste :-)

Personnellement, si je gagnais 18 millions d’euros à l’Euromillions, je pense que j’encaisserais mon chèque dans la seconde où l’on me le remettrais, je ferais un doigt d’honneur à mon boss, et je me casserais ! Je plaque tout et je nous emmène, ma famille et moi, faire le tour du monde..
Mais, Jo, elle, dans sa grande sagesse, attend avant d'encaisser le chèque.
En temps normal, le personnage de Jocelyne m’aurait agacé au plus haut point. Une petite bonne femme toute molle qui subit sa vie au lieu de la vivre (non mais franchement, qui pourrait supporter un mari qui te traite de truie toute la journée), et qui renonce d’entrée de jeu à ses rêves, moi, ça m’énerve. Je la secouerai comme on secoue une bouteille d’Orangina !!!
Et pourtant, j’ai retrouvé dans cette petite bonne femme une forme de sagesse et beaucoup de réflexions très intéressantes, comme ça, l’air de rien.. Ainsi, Jocelyne s'interroge souvent sur le sens de sa vie, elle qui a perdu tous ses rêves et sur ce qui la raccroche encore à sa vie. Qu'est ce qui fait le sens de la vie ? La richesse ? Les objets de luxe ? Ma famille ? Mon couple ?
En réalité, la liste de « ses » envies, c’est avant tout la liste de ce qui la raccroche à la vie.
Du coup, la soumission de son personnage m’a un peu moins dérangée que de coutume. Elle me rappelle un peu le personnage de Joséphine dans « Les yeux jaunes des crocodiles » de Katherine Pancol pour son côté soumis, qui s'excuserait presque d'exister.
« La liste de mes envies » raconte une histoire plutôt banale : une petite provinciale insipide et sans histoire gagne le gros lot. Jusque-là, rien d’extraordinaire.
Mais ce qui fait la singularité de ce livre c’est, à mon avis, le style de l’auteur. Grégoire Delacourt décrit et décortique à merveille la France qu’on n’expose pas devant les caméras, cette France silencieuse, avec ses angoisses, ses besoins, ses envies, ses folies, ces histoires cachées aussi. Elle est là, la France d’en bas qui se lève à l’aube tous les matins pour aller bosser et gagner sa croûte ! C’est Jocelyne et Jocelyn !

Grégoire Delacourt attire également notre attention sur la société de consommation dans laquelle nous vivons (Grégoire Delacourt travaillant dans la publicité, ça peut aider). Le mari, Jocelyn, est un parfait esclave de cette société de consommation. Ses rêves ? Une Porsche, une belle montre, un écran plat, des DVD.. Bref, l’idée que posséder et consommer peut vous rendre heureux car on (et je veux dire par là, la publicite) a créée un besoin chez lui. Toutefois, cette richesse ne lui profite pas tant que ça au final : mais là, je ne peux rien dévoiler..
Enfin, je dois avouer que je ne m’attendais pas du tout à la tournure qu’a pris l’histoire à la fin (mais bon, moi je suis une grande naïve, alors ça ne compte pas). J’ai d’ailleurs tellement été surprise et stupéfaite que, fait exceptionnellement rare, j’ai versé une petite larme. Ne me demandez pas pourquoi. C’est comme ça. Ou peut-être que mon histoire personnelle y est pour quelque chose. Mais bon, passons..
Une fois ce billet rédigé, je me dis que « la liste de mes envies » confirme un peu ce que je pensais, à savoir que le fait de gagner une somme d’argent astronomique peut vous rendre fou (Jocelyne sera d’ailleurs examinée par une psychologue de la française des jeux avant qu’on lui remette son chèque) ou très malheureux.
Alors je me dis que finalement, l’argent ne fait peut être pas le bonheur..



Et pour finir, une petite citation : « Etre riche, c’est vouloir tout ce qui est laid puisqu’on a l’arrogance de penser qu’on peut changer les choses. Qu’il suffit de payer pour ça. Mais je ne suis pas riche. Je possède juste un chèque de dix-huit millions cinq cent quarante-sept mille trois cent un euros et vingt-huit centimes […]. Je possède juste la tentation, une autre vie possible. Une nouvelle maison. Une nouvelle télévision. Pleins de choses nouvelles. Mais rien de différent ».

Le livre de Grégoire Delacourt a aussi été adapté au théâtre :



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