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dimanche 3 août 2014

La part de l'autre de Eric-Emmanuel Schmitt


L’histoire : Vienne, 8 octobre 1908 : une voix résonne à l’Ecole des Beaux-Arts et va, sans le savoir, modifier à jamais le cours de l’histoire. « Hitler Adolf : recalé ! » Bon, je sais, cela n’a l’air de rien comme cela mais si...
Et si Hitler avait été accepté ? En plus de changer le cours de son existence, cela aurait-t-il changé le cours de la nôtre ?
Eric-Emmanuel Schmitt va envisager les deux hypothèses et leur influence sur l’histoire : celle d’un Adolf H. accepté aux Beaux-Arts et celle d’un Hitler recalé.
Adolf H. est un garçon plutôt sensible et dénué de toute agressivité. Il déteste la guerre et préfère plutôt l’ambiance de franche et bonne camaraderie avec ses amis autour d’une bière. Grâce aux séances de psychanalyse du Docteur Freud (j’ai d’ailleurs adoré ce clin d’œil de l’auteur), Adolf H. va résoudre ses problèmes avec les femmes, qu’il collectionnera par la suite en grand charmeur qu’il est (eh oui, Dolfi est un séducteur !). 
C’est d’ailleurs auprès de ces dernières qu’Adolf H. va rechercher la douceur et la chaleur dont il a tant manqué étant petit (les deux parents d’Adolf sont décédés lorsque celui-ci était encore très jeune). C’est également auprès des femmes qu’Adolf va trouver sa plus grande source d’inspiration artistique.
Puis Adolf H. va connaitre l’Amour, le grand. Celui qui chamboule notre vie et la transforme à tout jamais..
Hitler, au contraire, est quelqu’un de très fier et imbu de sa personne. On sent dès le début qu’il se plait à marquer une certaine distance entre lui et les autres. Il n’ose pas avouer à sa famille et à son entourage qu’il a été recalé et reste néanmoins convaincu qu’il est un artiste.

Après avoir vécu une vie de bohème, Hitler va connaitre la guerre. Grâce à un habile stratagème, il réussit à éviter l’armée autrichienne et fait son service militaire dans l’armée allemande, la mère patrie. Une fois enrôlé, Hitler va se révéler être un fin stratège et un excellent élément pour l’armée allemande : il est perfectionniste, entièrement dévoué à la cause allemande et intransigeant envers lui-même et ses camarades, qu’il n’hésitera pas à dénoncer en cas de faute (étonnant, non ?). C’est également au cours de la première guerre mondiale qu’Hitler se découvre une passion pour l’ordre et la morale.
Hitler ne va jamais digérer la défaite de l’Allemagne dont il impute la responsabilité aux juifs. Il sera alors repéré par les membres du parti nazi qui vont en faire leur leader. Grace à sa fougue et ses qualités d’orateur, Hitler va gagner les élections et devenir chancelier de l’Allemagne.
La suite, on la connait bien. Mais ce qu’on connait moins, c’est la folie qui s’est emparée du personnage d’Hitler jusqu’à son suicide avec sa femme (depuis deux jours) Eva Braun.

Ce que j’en pense : On a tous dû se poser cette question au moins un million de fois au cours de notre existence : et si ? Et si j’étais arrivée 5 minutes plus tôt ? Et si j’avais refusé ce travail ? Et si j’avais épousé mon premier amour ? etc..
En l’occurrence, il s’agirait de se demander : et si Hitler avait été accepté à l’Ecole des Beaux-Arts, la face du monde serait-elle changée ?
Vaste question à laquelle Eric-Emmanuel Schmitt tente de répondre. A cet effet, il nous raconte l’histoire d’une vie mais de deux destins.. et deux destins qui diffèrent totalement l’un de l’autre.
Il est évident que l’auteur a voulu attirer notre attention sur la part d’ombre qui sommeille en chacun d’entre nous, autrement dit le côté obscur de la force. Eric-Emmanuel Schmitt nous montre que l’homme ne nait pas mauvais, il le devient par ses expériences, ses choix, ses rencontres..
Aussi, je pense que « la part de l’autre » appelle à réfléchir sur la fameuse question du gène du mal. En effet, si Adolf H. s’avère être un personnage sensible, qui aime les femmes et la vie en général, ouvert sur les autres et le monde et qui déteste la guerre car elle lui a volé son meilleur ami, Hitler, au contraire, se renferme de plus en plus sur lui-même, sombre du côté obscur, descend vers l’enfer, développe un sentiment de haine élevé à son paroxysme et apparait au lecteur tel un monstre. Et pourtant, ses deux personnages ne sont en réalité qu’un..
Plutôt troublant non ? Je trouve que la question mérite en tous cas d’être développée.
Pour ma petite expérience personnelle (et étant une ancienne avocate), cette histoire me rappelle la défense d’un accusé dans un procès pénal. En effet, lorsqu’on défend un serial killer ou un serial violeur-pédophile devant une Cour, on axe sa défense non pas sur l’acte en lui-même, qui est injustifiable (comment en effet justifier les actes commis par un Guy George ou un Emile Louis ?), mais on essaie d’amener la Cour à comprendre pourquoi cet individu a commis cet acte. Quels sont les évènements dans sa vie qui l’auront conduit jusque devant une Cour car il aura commis des actes horribles ?

C’est bien là la démarche accomplie par Eric-Emmanuel Schmitt : ne pas justifier les actes, mais l'homme en lui même, essayer de comprendre l’origine de la monstruosité de ce personnage qu’est Adolf Hitler, celui dont on ne doit pas prononcer le nom.  Pourquoi Adolf Hitler est devenu cet homme pétri de haine et hanté par la folie et la paranoïa à la fin de sa vie ? Aurait-il pu être un autre s’il avait fait des choix différents dans sa vie ?
Toutes ces questions en amènent à mon sens une autre subsidiaire : si l’on a connaissance des erreurs du passé, aurons-nous le courage de ne pas les répéter à l’avenir ?
Je dois dire que j’apprécie toujours autant la plume d’Eric-Emmanuel Schmitt : subtile, intelligente et qui fait toujours des petits clins d’œil que j’apprécie beaucoup. Malgré tout cela, je n’ai pas vraiment été « bouleversée » par la lecture de ce livre.
Le thème ou le personnage choisis ne m’ont pas dérangé outre mesure, contrairement à d’autres lecteurs. Je ne saurai pas vraiment dire pouquoi mais j’ai un peu moins accroché sur ce livre que sur d'autres du même auteur. Toutefois, « la part de l’autre » reste une bonne lecture que je conseillerais à tous ceux qui cherchent à comprendre et analyser la part de l’autre qui sommeille en soi.

Et pour finir, deux petites citations : « Mais désormais, je suis là. J’ai foi en moi. Je montrerai le chemin. Je braquerai ma torche sur les tranchées qui grouillent de rats, je montrerai le réseau souterrain qui nous engloutira si nous ne réagissons pas. Après tout, cette défaite sera une bonne chose pour l’Allemagne. Une vraie crise qui mettra au jour le virus jusque-là invisible. Pardon, Nietzsche ! Pardon, Wagner ! Pardon, Schopenhauer ! Vous m’aviez déjà dit cent fois ce que je reçois ce soir comme une révélation. Une illumination. Les médecins ont beau nous prévenir, on se méfie plus de la peste que de la tuberculose. Car la peste est spectaculaire, ravageuse, rapide, alors que la tuberculose est silencieuse et chronique. Du coup, l’homme domine la peste alors que la tuberculose le domine. Il nous fallait cette catastrophe. Maintenant, les microbes sont démasqués. Il faut organiser la guérison. Je serai le médecin de l’Allemagne. J’éradiquerai la race juive. Je les dénoncerai, les empêcherai de se reproduire et les évacuerai ailleurs. Qu’ils aillent salir ce qui n’est pas allemand. Je ne faillirai pas. J’ai confiance en ma mission ».
« A quarante ans, vous décidez de faire des enfants et vous décidez de ne plus peindre. En fait, ce que vous désirez, c’est décider. Maîtriser votre vie. La dominer. Fut-ce en étouffant ce qui s’agite en vous et ce qui vous échappe. Peut-être ce qu’il y a de plus précieux. Voilà, vous avez supprimé la part de l’autre en vous comme à l’extérieur de vous. Et tout ça pour contrôler. Mais contrôler quoi ? ».

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