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mercredi 13 août 2014

Le calvaire et le pardon de Loïc Sécher et Maitre Eric Dupond-Moretti

L'histoire : Novembre 2000. Le comportement d'une jeune fille de quatorze ans, Emilie, inquiète ses proches et ses professeurs. Emilie se scarifie et fugue régulièrement de chez elle. Interrogée, Emilie prétend avoir été victime de viol et donne une description de son agresseur qui ressemble fortement à son voisin, Loïc Sécher.
Loïc Sécher vit à la Chapelle Saint-Sauveur, petit village de Maine et Loir. « Ici pas de superflu : une église, une boulangerie et un bistrot. Les trois piliers de l'existence rurale ». Mais il ne fait pas bon vivre à la Chapelle Saint-Sauveur quand on s'appelle Loïc Sécher.
Ouvrier agricole au chômage, homosexuel, de nature dépressive, alcoolique avec une légère tendance à la violence, Loïc Sécher dérange dans le paysage si tranquille de la Chapelle Saint-Sauveur. Il est celui qui n'est pas « normal », celui qu'on pointe du doigt, celui qui a un « regard bizarre ».
Alors, quand Emilie le désigne comme l'auteur de ses viols, cela ne fait aucun doute pour les gendarmes et pour les magistrats : Loïc Sécher est le coupable idéal.
Décembre 2003. Loïc Sécher est condamné à seize ans de réclusion criminelle par la Cour d'Assises de Nantes. Sa peine est confirmée en appel et son pourvoi est rejeté en Cassation. Il faudra attendre le 31 mars 2008 pour qu'Emilie revienne sur ses aveux, avoue qu'elle ait menti et que son avocat de l'époque, Maître Eric Dupond-Moretti, obtienne une révision du procès et l'acquittement de son client.
Depuis le début de la procédure, Loïc Sécher a toujours clamé son innocence..
Ce que j'en pense : il est des lectures après lesquelles il est toujours difficile de s'exprimer, tant elles vous serrent le cœur ; le témoignage de Loïc Sécher en fait partie. Comment pourrais-je en effet porter un jugement sur un vécu aussi tragique ? Comment pourrais-je me faire le juge et le bourreau du calvaire d'un innocent ? Je n'en ai ni le droit, ni le devoir..
Le calvaire et le pardonest un livre écrit à quatre main par Loïc Sécher et Maître Eric Dupond-Moretti. Loïc Sécher y décrit le drame qu'il a vécu et Maitre Eric Dupond-Moretti y décortique chaque situation en sa qualité de professionnel. En somme, Loïc Sécher écrit avec ses tripes et Maitre Eric Dupond-Moretti écrit avec sa robe, mais tous deux racontent leur vécu.
Pour ma part, j'y ai vu plusieurs points de réflexions. Bien évidemment, le livre pointe du doigt les failles du système judiciaire et particulièrement le système carcéral.
Loïc Sécher est le septième condamné officiellement innocenté depuis 1945, entre Patrick Dills et Marc Machin. Il faut savoir que la justice ne reconnaît que trop très rarement ses torts et ce livre souligne très bien les failles du système.
Loïc Sécher décrit son (calvaire) quotidien en prison, d'abord à la maison d'arrêt de Nantes puis au centre de détention de Rennes. Je pense que les mots sont dérisoires pour pouvoir, nous lecteurs, comprendre et imaginer véritablement le quotidien d'un détenu, et plus particulièrement celui d'un « pointeur » (qui sont nommés ainsi car ils ont « pointé » leur victime). Promiscuité, manque d'hygiène, humiliations, violences, viols dans les douches ponctuent son quotidien. Un quotidien qu'il ne méritait pas, un quotidien qu'il a du affronter en serrant les dents, un quotidien dont la cause avait un son doux et amère à la fois : Emilie..
On l'apprendra bien plus tard, Emilie a bien été victime de viols dont on connaît aujourd'hui les auteurs. Mais au moment des faits, Emilie est une adolescente perturbée, enfermée dans son silence. Et quand elle dit à ses parents que l'auteur de ses viols serait un « vieil ami de la famille », ses parents feront immédiatement le lien avec Loïc Sécher, ce type un peu bizarre et qui n'inspire aucune confiance.. Ainsi, face à la pression de ses parents, et sans doute pour avoir la paix, Emilie confirme : oui, c'est bien Loïc Sécher qui m'a violée. Et à partir de là, la folle machine judiciaire est lancée..
La sacralisation de la parole de l'enfant-victime est remise en question avec l'affaire Sécher. Comment mettre en doute la parole d'une enfant ? Bien sur, les preuves matérielles et scientifiques ne corroborent pas toujours avec les dires d'Emilie, bien sur Emilie raconte une nouvelle version des faits à chaque fois qu'elle se présente devant le juge d'instruction, bien sur il n'y a pas de test ADN.. Mais qu'importe, c'est une enfant ! Et une ado, c'est bien connu, ça ne ment jamais..
Et au mensonge, Loïc Sécher y a répondu par le pardon.. Là, je ne peux que souligner sa grandeur d'ame.
Si l'on veut pousser sa réflexion un petit peu loin, il me paraît que c'est l'entier système dans lequel nous vivons qu'il faut remettre en cause.
Dès le départ, Loïc Sécher n'a pas été considéré comme un homme potentiellement innocent, ce qu'il est en réalité, mais comme un homme déjà coupable. Un homme « bizarre », qui dérange, que l'on doit lyncher sur la place publique. Et c'est ça que la foulele public veut. Il veut des bons, purs et innocents tels des enfants et des méchants très très méchants, comme on en voit la télé ou au cinéma. La foule veut du sang : elle veut en offrande le sacrifice du coupable sur l'autel de l'innocence de la victime.
La question qu'il faut se poser ici c'est : qu'est-ce qui a amené les protagonistes de cette histoire (gendarmerie, magistrats, jurées etc..) à offrir en sacrifice Loïc Sécher et le lyncher sur la place publique alors que le dossier présentait des failles gigantesques (pas de test ADN, pas de confrontation avec la victime etc..) ?
Plusieurs facteurs ont pu intervenir : le système de pensée judéo-chrétien, les médias, nos politiques etc.. Le système judiciaire français est avant tout composé de femmes et d'hommes : ce sont eux qui entendent les déclarations, eux qui mènent l'instruction (à charge ou à décharge), eux qui dirigent l'accusation et enfin, eux qui jugent.. A partir de là, les influencer par des facteurs extérieurs devient très facile.. et surtout très dangereux !!!
Hier c'était Loïc Sécher, mais demain ce sera qui ?

Et pour finir, une petite citation :
« Le 15 juin 2001,
Mes parents,
Je n'ai pas oublié les dates de fêtes d'anniversaires.
Mais il y en a certaines dont je préférerais ne plus me souvenir comme le 27 novembre 2000, jour de mon arrestation, le 13 avril 2001, ma tentative de suicide ou encore le 6 mai 2001, mon passage à tabac.
J'ai reçu énormément de coups sur la tête et je suis resté deux jours au CHU attaché à mon lit avec des menottes. J'ai un traumatisme crânien et un hématome péri-orbitaire droit et occipital gauche, selon les médecins. J'ai été gardé pendant vingt-quatre heures sur vingt-quatre par deux agents de la sécurité. Sur mon lit d'hopital, je me suis même dit que j'aurais préféré qu'ils m'achèvent dans la cour de la prison..
Alain et Françoise se battent désespérément pour me faire sortir de là. Moi je n'ai plus qu'un espoir, c'est que la prochaine étape soit la dernière. Tout cela en étant innocent. J'imagine que si Dieu existe, je pourrai être déclaré saint.
Donc, Maman, tu ne peux rien faire et moi non plus.
Loïc »

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