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samedi 2 août 2014

Le coeur cousu de Carole Martinez


L’histoire : c’est à travers la plume de Soledad que nous allons suivre l’histoire de sa mère, Frasquita Carasco, et celle de ses enfants.
Frasquita est née dans un petit village au sud de l’Espagne dans les années 1930. Mais Frasquita n’est pas une jeune fille comme les autres : certains la qualifieraient de magicienne, d’autres la qualifieraient de sorcière. En réalité, Frasquita possède un secret qui se transmet de générations en générations.
Lorsqu’elle devint une jeune fille, sa mère l’initia à des prières ancestrales et lui transmis une boite mystérieuse que l’on transmet dans sa famille depuis la nuit des temps. Frasquita y découvre alors des fils et des aiguilles et s’initie à la couture.
Mais Frasquita ne se contente pas seulement de rapiécer de simples chiffons, elle fait bien plus que cela : elle coud les êtres ensembles, elle raccommode les êtres à la vie, elle reprise les hommes effilochés. Ainsi, Frasquita développe un don extraordinaire pour la couture.
Puis vient le temps où ses parents décident de la marier. Ils choisissent pour elle José, jeune forgeron du village, avec qui elle aura cinq enfants. Personnage particulièrement égoïste et méprisable, José délaisse fort vite sa femme et ses enfants pour s’adonner à l’une de ses passions : les combats de coqs.
C’est d’ailleurs au cours de l’un d’eux que José perdra sa femme. Frasquita préfèrera alors prendre la fuite, prenant ses enfants sous le bras, et trainant tant bien que mal sa charrette à bras.
A ce moment, commence pour Frasquita et ses enfants un long périple à travers l’Espagne, au cours duquel elle croisera des personnages dignes des contes et légendes tels que le meunier fantôme, les guerriers révolutionnaires ou encore l’ogre chasseur d’enfants.
Mais surtout, durant ce voyage, les enfants de Frasquita développeront eux aussi tour à tour des dons tous plus singuliers les uns que les autres et apprendront plus ou moins à les maitriser.

Ce que j’en pense : ce livre a suscité de nombreux coups de cœur parmi mes collègues de la blogosphère... coups de cœur auquel je me joins bien volontiers !
L’engouement suscité par « Le cœur cousu » réside avant tout dans le style adopté par l’auteur. En effet, tout comme Frasquita a reçu un don pour la couture, il semblerait que l’auteur ait reçu elle aussi un don pour l’écriture.
Carole Martinez nous offre un récit où se mêlent et s’entremêlent gaiement la poésie (omniprésente dans le livre), le merveilleux, ou encore la magie. L’histoire de Frasquita nous est racontée sous la forme d’un conte écrit avec une élégance et une finesse que j’ai rarement connues. Par conséquent, le lecteur se retrouve comme pris au piège par ce roman duquel il ne peut plus se détacher et n’a qu’une envie : tourner les pages encore et encore pour connaître la suite des aventures de Frasquita.
Il s’agit d’un récit plein de sensibilité et on sent bien que les émotions de chacun des personnages sont développées et analysées avec une réelle passion et une intensité tout à fait singulière. Et ceci est d’autant plus impressionnant quand on sait qu’il s’agit de son premier roman !
Aussi, je ne peux que conseiller vivement ce livre à ceux qui ne lisent pas (ou peu) : il vous réconciliera sans aucun doute avec la lecture !
Sur le fond, « Le cœur cousu » aborde également différents thèmes.


Pour ma part, j’ai notamment retenu celui du jugement, de notre regard sur les autres, de ceux qui sont différents de nous. La famille Carasco est une famille singulière en bien des points. Et c’est cette singularité qui fera qu’ils ne seront jamais acceptés par les gens du village qui les regarderont toujours comme des gens différents, des sortes de « bêtes de foire » avec lesquelles il ne faut pas se lier.
Alors qu’au fond, les femmes de la famille n’ont pas choisi ces dons et ne font aucun mal à la population locale. Elles feront toujours face aux critiques avec dignité. C’est d’ailleurs cette dignité et cette force de caractère qui font des femmes de ce roman des personnages attachants.
Un autre thème que j’ai pu retenir est celui de la vision de l’homme et de la femme par l’auteur. En effet, il est incontestable que les hommes ont le mauvais rôle dans cette histoire. José, le mari de Frasquita, est présenté comme un homme égoïste et égocentrique qui perd tout ce qu’il possède au jeu, y compris sa propre femme. L’auteur dresse également un portrait plutôt noir et sombre de l’homme aux oliveraies. Enfin, Pedro, le seul fils de la famille, commet un méfait impardonnable à la fin de l’histoire.
La vision des femmes, en revanche, est totalement opposée et ce sont elles qui prennent toute la place dans le roman. L’auteure leur donne une dimension mystique voire même presque divine. Ainsi, les femmes sont perçues comme les gardiennes de la magie et des traditions séculaires telles un temple sur lequel les hommes pourraient se reposer (Frasquita s’occupe de son mari comme une mère s’occupe de son enfant). Ce sont elles qui guérissent ou qui accouchent, elles ont un véritable rôle maternel. Les hommes, quant à eux, se contentent de travailler et de se livrer bataille. Les femmes, au final, sont les gardiennes de la vie.
La conception de l’amour est également différente chez les hommes et les femmes. Si les hommes ne conçoivent l’amour qu’à travers le physique et la chair, les femmes, quant à elles, lui donnent une dimension spirituelle. L’acte sexuel, maintes fois évoqués par l’auteure, représentent pour les femmes une véritable communion avec leur partenaire, une manière de s’associer pour ne former plus qu’un. Contrairement aux hommes, les femmes éprouvent un désir qui les touche au plus profond de leur être.
Enfin, les enfants de Frasquita ont tous reçu un don qui encombrera plus ou moins leur vie. Je les trouve plutôt attachants dans leur ensemble. Ce qui m’a surtout plu, c’est leur pureté et leur authenticité car ils semblent exempts de tout vice. Une pureté qui leur a été très clairement transmises par la mère.
Finalement, l’histoire n’étant qu’un éternel recommencement, on se demande, lorsqu’on referme ce bouquin, s’il existe quelque part dans le monde une petite fille qui attend ; une petite fille qui attendrait avec impatience, elle aussi, d’ouvrir un beau jour sa boîte..

Et pour finir, une petite citation : « la mère la fait tourner sur elle-même, plusieurs fois. Plus de repères. Le sol se dérobe. Vertige. Les yeux cherchent, cherchent la lumière. S'échapper. Alors une voix s'élève dans la nuit. Pas celle de la mère. Une voix qui semble venir du cœur de la terre, une voix d'outre-tombe, et la voix, énorme, murmure, à la fois proche et lointaine, à la fois hors de Frasquita et sous sa peau, à la fois claire et sourde. La jeune fille devra tout répéter. Tout retenir. Elle n'a que quatre nuits pour engranger un savoir millénaire ».

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