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vendredi 8 août 2014

Les oreilles de Buster de Maria Ernestam


« J’avais sept ans quand j’ai décidé de tuer ma mère. Et dix-sept ans quand j’ai finalement mis mon projet à exécution ».
Rassurez-vous, je ne vous dévoile pas la fin du livre mais uniquement les premiers mots du roman de Maria Ernestam. 
Voilà, le ton est donné.

L’histoire Eva mène une vie paisible qu’elle partage entre Sven, son compagnon, ses amies et ses voisines, Irene, une vieille dame aigrie dont elle s’occupe, Suzanne, sa fille en pleine procédure de divorce mais surtout, ses rosiers qu’elle chérit plus que tout.
Le jour de ses cinquante-six ans, Eva reçoit un carnet vierge de la part de sa petite fille, Anna-Clara, et décide de s’en servir comme journal intime. Ainsi, pendant la nuit, lorsque Sven est couché, Eva se sert un verre de vin et écrit son journal intime. Dans son journal, Eva va raconter à la fois son quotidien et sa vie passé.
Et c'est dans l'atmosphère feutré d'une maison endormie que vont lui revenir les douloureux souvenirs de son enfance, puis de son adolescence ; la cruauté est sans doute plus douce lorsqu'elle est évoquée la nuit, à la lueur d'une bougie. En effet, parmi ses souvenirs, Eva va confier à son journal sa relation avec sa mère, à mi-chemin entre l'amour et la haine.
La mère d’Eva est un cas qui relève de la pathologie : complètement centrée sur elle-même, égoïste, égocentrique, irresponsable, superficielle et exubérante, elle ne l’a jamais aimée comme une mère aime son enfant et l’a toujours critiquée et humiliée en public (de nos jours, Eva lui aurait fait un procès pour harcèlement).
[Eva avait cueilli un bouquet pour sa mère] : « Les pas-d’âne sont les fleurs les plus laides que je connaisse. Elles poussent dans le fumier. D’ailleurs, ça se sent. Elles puent la merde »

« Björn ! Björn ! Eh ho ! Inutile de parler voyages et d’amour avec Eva, ce n’est qu’une ignorante. Elle ne sait rien de rien. En fait ».

« Tu pourrais porter un peu plus de couleurs de temps en temps. Enfin, de toute façon, personne ne te regarde. D’ailleurs, pendant que j’y pense, ça m’étonnerait qu’on te fasse un jour des avances ».
Pas étonnant qu’Eva ait décidé de tuer sa mère..

Ce que j’en pense : Alors là, je n’ai qu’une chose à dire : méfiez-vous des apparences..
Tout d’abord, méfiez-vous de la couverture. En effet, sur la couverture du livre est représenté un joli petit paysage champêtre composé d’une gentille petite fille qui a l’air de promener un gentil petit toutou (sans doute Buster). Aussi, ma première impression en voyant cette couverture fut de me dire que  « les oreilles de Buster » racontait l’enfance d’une petite fille fortement attachée à son chien, le tout dans une ambiance plutôt paisible et bucolique.
Que nenni ! D’ailleurs, ma première impression s’en est allée aussitôt que j’ai lu les premiers mots du bouquin !

Ensuite, méfiez-vous des personnages et surtout du personnage principal, Eva. Eva m’a fait penser à ce genre de personne calme et souriante en apparence alors que, dans sa tête, la vôtre balance déjà au bout d’une corde..
Ce côté légèrement malsain et sadique, Eva va le développer dès son enfance. En effet, dès l’âge de sept ans, Eva décide de « punir » sa mère pour son comportement tyrannique et égocentrique. Puisque tout le monde passe les caprices de la mère d’Eva (la scène de la machine à laver est tout simplement mémorable), elle décide de se faire justice elle-même. Inutile de compter sur son père qui apparait comme un homme faible et sans envergure, incapable de dire non à sa superbe femme de peur de perdre son magnifique trophée.
La mère d’Eva ne sera d’ailleurs pas sa seule victime : Eva décidera de se venger à plusieurs reprises d’autres personnes (ou d’animaux) dont le comportement l’aurait contrariée.
Les récits d’enfance d’Eva mêlent à la fois candeur et perversion donnant une ambiance assez particulière au bouquin, une ambiance presque malsaine. On est à la fois gêné par le comportement et la psychologie de cette petite fille et pris de pitié pour elle, eu égard au comportement de cette mère qui ne l’a jamais aimée.
A travers son journal, Eva va revivre son passé et se remémorer tous ses vieux souvenirs d’enfance et d’adolescence. On aurait presque l’impression qu’elle rédige ses mémoires, comme si elle n’allait pas tarder à mourir. Et le passé d’Eva, croyez-moi, est vraiment riche en rebondissements. L’histoire m’a fait un peu penser au principe des poupées russes : à mesure que l’on découvre un détail important de la vie d’Eva, une autre histoire sous-jacente à la première surgit et créée un nouveau rebondissement. Tout ceci jusqu’à ce que l’on arrive au cœur de l’histoire : sa relation avec sa mère.

La relation mère/fille est le thème principal du roman avec notamment les répercussions psychologiques du manque d’amour maternel. Les femmes sont d’ailleurs placées au cœur de l’histoire, les hommes étant carrément placés au second plan et n’ont pas franchement le beau rôle.
Il convient également de souligner l’ambivalence de ce roman avec un côté noir, très sombre, pervers, voire même démoniaque qui réside dans l’amour/la haine qui règne entre la mère et la fille et la psychologie avec laquelle Eva va analyser la situation et préparer son matricide. Le côté blanc, beaucoup plus pur, candide et saint, je l’ai retrouvé dans les actes désespérés de cette petite fille qui fait tout pour gagner l’amour de sa mère et l’immense admiration qu’elle lui porte.
Le style de Maria Ernestam est vraiment excellent et l’on a presque l’impression de lire un thriller psychologique, surtout à la fin du roman, lorsque l’histoire se dénoue. Un grand bémol tout de même : je trouve que le livre traine parfois un peu trop en longueur et que l’auteur se perd un peu trop dans des descriptions qui rendent plus lourde la lecture de son livre.
Finalement, « les oreilles de Buster » m’auront laissé un souvenir mitigé, un goût aigre-doux, prise entre le côté clair et le côté obscur qui sommeille en chacun d’entre nous. Et je ne sais de quel côté mon cœur balance..



Et pour finir, une petite citation : « Je me rappelle avoir progressivement compris que ma mère ne se soucierait jamais assez de moi pour m'aimer, et que seule l'une d'entre nous deux verrait le bout du tunnel saine et sauve. A sept ans, je décidais que ce serait moi ».

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