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vendredi 8 août 2014

L'évangile selon Pilate d'Eric-Emmanuel Schmitt


L’histoire : Le roman d’EES est divisé en deux récits et se termine, comme plusieurs romans d’EES, par une sorte de journal de bord de l’écrivain.
Le premier récit est un prologue intitulé « Confession d’un condamné à mort le soir de son arrestation ». Il est rédigé à la première personne du singulier et retrace les trente premières années de Jésus-Christ. En effet, les textes sont quasi silencieux sur l’enfance et l’adolescence du Christ. EES se penche donc sur la question et choisit de romancer la vie de Jésus jusqu’à son arrestation. Mais surtout, EES va s'intéresser plus particulièrement au moment où Jésus va prendre conscience de qui il est réellement.
C’est ainsi que Yéchoua (tous les noms sont en araméens dans le livre), simple fils de charpentier et prédestiné à reprendre l’affaire familiale, sent dès son plus jeune âge qu’il « n’est pas fait pour le cours ordinaire de la vie ». S’il se prend pour une sorte de sage écoutant les malheurs des habitants de son village dans un premier temps, le cours de l’existence de Yéchoua va être bouleversé par les rencontres qu’il va faire. En effet, c’est Yohanân le Plongeur qui, le premier, le reconnaît comme l’élu de Dieu.
Refusant d’être le Messie annoncé par les textes, Yéchoua s’enfuit au désert pendant quarante jours au cours desquels il aura une révélation.

« Il y a en moi plus que moi. Il y a en moi un être qui n’est pas moi et qui cependant ne m’est pas étranger. Il y a en moi un fond qui me dépasse et me constitue, un tout inconnu d’où part toute connaissance, une immensité incompréhensible qui rend possible toute compréhension, une unité dont je dérive, un Père dont je suis le Fils ».

Puis, Yéchoua revient, renforcé. Il se met alors à guérir les malades, à accomplir des miracles et à prêcher la bonne parole. Rejeté par sa propre famille (Yéchoua a plusieurs frères et sœurs), douze hommes vont pourtant choisir de tout quitter pour le suivre sur les routes de Galilée.
Mais Yéchoua est avant tout un homme.. Et en tant qu’homme, il éprouve de la peur quant à sa destinée (car il sait qu’il doit passer par la mort) et il doute : est-ce vraiment lui le Messie ?
Le second récit, « l’évangile selon Pilate » est également rédigé à la première personne du singulier et sous la forme épistolaire. L’histoire se situe postérieurement à la mort de Yéchoua. On vient rapporter à Ponce Pilate que le corps de Yéchoua a disparu.
L’entourage de Yéchoua clame à tous vents qu’il est ressuscité. Pour Pilate, une résurrection est inconcevable. S’en suit alors une enquête policière tout à fait particulière menée par (Sherlock) Pilate en personne : qui a bien pu voler le corps de Yéchoua et dans quel but ?


Ce que j’en pense : Avouons-le, je suis une grande fan des livres d’Eric-Emmanuel Schmitt. Et en tant que fan, je me devais de lire « l’évangile selon Pilate ». Mais en tant que catholique, je dois vous confesser que je ressors assez troublée de la lecture de l’évangile revisité et romancé, même par l’un de mes auteurs préférés..
En effet, c’est un sujet épineux et bien délicat que l’histoire du catholicisme et auquel s’est attaqué EES. Il lui aura d’ailleurs fallu pas moins de dix ans de documentation et de recherches avant d’avoir pu achever l’écriture de « l’évangile selon Pilate ».
C’est la première partie qui m’a surtout intéressée et interpellée à la fois ; je regrette d’ailleurs que ce soit la plus courte. En effet, l’auteur a pris le parti de « romancer » la vie de Jésus et surtout, de le rendre humain, chose à laquelle je n’ai jamais songé.
Il est vrai que Jésus est un homme avant tout : c’est sa résurrection qui lui confère un caractère divin. Aussi, dans le récit d’EES, Jésus est appréhendé dans toute son humanité ; c’est un homme qui n’a pas choisi son destin et qui subit sa messianité, puisqu'il ne cesse de douter, même au moment de sa mort ("Mon Père, pourquoi m'as-tu abandonné ?"). La révélation de sa destinée ne se fera d’ailleurs que très tard. Avant cela, Jésus a vécu une enfance et une adolescence tout à fait normales : il jouait avec les autres enfants, se faisait des camarades parmi les villageois, travaillait très dur pour être charpentier comme son père..

En bref, dans la version d'EES, rien ne le prédestinait à devenir l'Elu.. 

Ce sont les doutes sur la messianité de Jésus qui ont particulièrement retenu mon attention. Ainsi, EES s'interroge sur le fait de savoir si Jésus savait dès le départ qu'il était le fils de Dieu ou s'il l'a découvert progressivement.
La religion ou les textes ne font jamais état de ses doutes qu'il aurait pu éprouver en sa qualité d'homme (sans doute pour nous vendre une version évidente et simplifiée à laquelle nous ne pouvons qu'adhérer). Ils ne remettent jamais non plus en cause la qualité de Messie de Jésus ou les miracles et les guérisons qu’il aura accomplis. Certains diront d’ailleurs que croire sans preuve et sans se poser de questions constitue l’essence même de la foi.
Aussi, on ne se pose jamais la question de savoir si les guérisons ou les miracles étaient véritablement des manifestations divines ou si Jésus avait tout simplement quelques notions de médecine ou de chimie (pour changer l’eau en vin). 
Une telle vision rationnelle de l’histoire ne peut donc que me titiller un peu et c’est bien là tout le talent de l’auteur : arriver à nous faire remettre en question des choses que l’on pensait acquises. N'est-ce pas d'ailleurs le propre du philosophe que d'encourager les hommes à se poser des questions sur le monde qui l'entoure et à remettre en question les croyances populaires ? Il est vrai que philosophie et chrétienneté n'ont pas toujours fait bon ménage..
EES s'est également intéressé au cas de Judas dont la croyance populaire voudrait qu’il soit le traitre, parce que, finalement, il faut bien un méchant dans l’histoire. Mais l’histoire n’est peut-être pas si simple que cela..


En effet, Judas a-t-il réellement trahi son maître ou a-t-il au contraire obéit à ses ordres ? La théorie de l’auteur voudrait que ce soit Jésus lui-même qui lui ait demandé de le vendre aux romains car il savait que son destin devait passer par la mort. De plus, Judas ayant été désigné par Jésus comme le trésorier du groupe, celui-ci avait libre accès à la bourse commune : pourquoi alors trahir Jésus pour quelques pièces d’or ?
Autant de questions rationnelles qui nous font nous interroger sur les fondements du christianisme et la manière dont ils nous été rapportés..
La seconde partie, plus importante, est présentée comme une sorte d’enquête policière ayant pour objet de retrouver le corps de Jésus. A travers cette enquête, deux sentiments vont s'opposer : la foi et la raison.
Les partisans de Jésus affirment que celui-ci est ressuscité et qu’il leur est apparu à plusieurs reprises après sa mort, ce qui confirmerait la messianité de Jésus. Pilate, au contraire, cherche à tout prix une explication rationnelle et logique à la disparition du corps de Jésus. Il va alors suivre plusieurs pistes afin d'élucider ce mystère : l’enlèvement du corps de Jésus de son tombeau, le fait que Jésus ne serait pas mort sur la croix, le sosie de Jésus qui se baladerait en se faisant passer pour lui..
Pilate est lui aussi appréhendé dans toute son humanité. Selon la croyance populaire, l’homme qui a condamné Jésus ne peut être lui aussi que le « méchant de l’histoire ». Et pourtant, c’est une toute autre facette de Pilate qui est démontrée dans le bouquin, notamment en compagnie de sa femme, Claudia. De plus, comme tout homme, Pilate sera lui aussi en proie au doute, jusqu'à ce qu'il se rende à l'évidence.

La troisième partie intitulée "journal d'un roman volé" est vraiment intéressante et nous permet de connaître "l'envers du décor".
La plume d'EES, quant à elle, est toujours aussi fluide et merveilleuse à lire et le lecteur ne fera qu'une (délicieuse) bouchée de ce petit roman.
La version romancée de l'évangile façon Eric-Emmanuel Schmitt n'est que pure supposition à laquelle chacun est libre d'adhérer ou non. Pour ma part, la rationnalité des thèses de l'auteur m'ont assez séduites (mais pas totalement convaincues sur certains points) car je comprends très bien le besoin de trouver un sens aux choses. Ses thèses ont-elles pour autant ébranlé ma foi ? Pas le moins du monde ! Au contraire, la lecture du roman m'a donné envie de me plonger dans les textes pour en apprendre plus sur une histoire que je trouve fascinante.

Finalement, s'interroger sans cesse n'est-il pas nécessaire à l'homme pour progresser ? Et comme le dit l'auteur, "l'humanisme doit être interrogatif, sous peine de ne jamais exister".


Et pour finir, une petite citation : « Depuis quelques années, un certain Yéchoua, un rabbin contestataire, fait parler de lui en Judée. Au départ, l’homme n’avait pas grand-chose pour lui : un physique passe-partout, un accent de bouseux galiléen, et surtout, il venait de Nazareth, le trou du cul du monde. Normalement, cela aurait dû suffire à l’empêcher de devenir populaire ; mais ses discours toujours un peu mystérieux et décalés, ses phrases à l’emporte-pièce, ses fables orientales tantôt douces, tantôt violentes, son attitude complaisante avec les femmes, bref, en un mot, sa bizarrerie, lui a gagné des suffrages ».

Encore une preuve que Jésus était un homme avant tout (sinon il n'aurait pas autant souffert)



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